Apparu en France à la fin du IXe s., le chant grégorien a connu son apogée pendant un temps très bref, puisque sa décadence a commencé au XIIe s. Sous les coups de boutoir de la polyphonie naissante, il a été déconsidéré, et son écriture s’est abâtardie à partir du XIIIe s.. Sous Louis XIV la prononciation du latin devient « gallicane », tuant ainsi son rythme naturel, et aggravant la décadence du chant grégorien. La Révolution française ne fait évidemment que précipiter la chute… mais pas pour longtemps. Au milieu du XIXe s. un mouvement apparaît afin de retrouver le chant grégorien du Moyen Age. Dans ce but l’Abbaye de Solesmes crée une nouvelle écriture musicale qui est aujourd’hui adoptée dans le monde entier. Toujours considéré par l’Eglise Catholique Romaine comme étant la forme primordiale du chant liturgique (cf. Vatican II), le chant grégorien a pourtant été abandonné dans quasiment toutes les paroisses du monde, au profit d’une modernisation ravageuses à tous les niveaux. Cet excès a conduit – ce qui était prévisible – à la naissance du mouvement traditionaliste, lequel est devenu inévitablement le sanctuaire du chant grégorien. Aujourd’hui encore, le refus du chant grégorien dans les paroisses diocésaines est une des causes majeures du succès de la messe dite « traditionnelle ».
A partir des années 2000, le verrouillage progressiste de la formation du clergé se fissure de toute part, car les bibliothèques diocésaines ont un concurrent redoutable : internet. Les séminaristes et les jeunes catholiques découvrent la documentation officielle de l’Eglise Catholique Romaine et exigent une meilleure formation, réclamant du même coup le retour d’une identité catholique forte, à commencer par la remise au premier plan de l’eucharistie, l’affirmation du sacerdoce ordonné, le retour du Beau dans la liturgie et la fin de l’ostracisme systématique anti-latin. Ainsi le chant grégorien a cessé d’être un sujet tabou aux environs de 2010, même s’il reste encore tenu à l’écart.
Ces évolutions ont entraîné des rapprochements inattendus entre les deux principales tendances catholiques, mettant fin à des guerres de tranchées absurdes. Pour autant, l’univers du chant grégorien connaît encore trois « mondes » :
- celui des communautés monastiques, qui évolue très lentement, ce qui fait surtout sa force en raison d’une stabilité incomparable et d’une résistance aux soubressauts du monde.
- celui des paroisses diocésaines, devenu exsangue depuis les années 60, puisque pratiquement plus aucune paroisse ne pratique le chant grégorien, avec pour conséquence que le savoir-faire musical s’y est effondré depuis les années 70.
- celui du monde traditionaliste, resté particulièrement dynamique, dont les mécanisme de transmission orale fonctionnent parfaitement de génération en génération par la simple pratique dominicale. Bien que souvent empêtré dans une nostalgie peu fructueuse, c’est pourtant de ce mouvement que le chant grégorien essaime lentement mais sûrement vers le reste du monde catholique.
Il reste cependant que les musicologues médiévistes, même s’ils se laissent aller à quelques exagérations, font, à l’instar des archéologues, beaucoup avancer la recherche. Les grégorianistes praticants ne les acceptent que difficilement au prétexte d’une tradition qui, trop souvent, n’est en réalité qu’une posture de protection des acquis. Il faut bien le dire : ce frein est néfaste, car il installe la pratique dans une stagnation et une routine qui, au Moyen Age, aurait été rudement dénoncée… Au temps de la dynamique par habitude, il faudrait substituer le temps de la dynamique par l’étude. Nous n’y sommes pas encore, mais on peut croire que contrairement au milieu traditionaliste, lorsque les paroisses diocésaines se réveilleront, elles s’autoriseront une mise à jour des connaissances qui en surprendra plus d’un.