L’accompagnement du chant grégorien a fait couler beaucoup d’encre et suscité des polémiques que certains « puristes » ont poussées un peu trop loin. Il faut dire que les exagérations ont été multiples. D’un côté il y a les musicologues médiévistes qui ne jurent que par une sorte d’archéologie expérimentale, très intéressante, mais présentée comme seule approche valable (ce qui en fait une vérité tronquée). De l’autre côté il y a les grégorianistes catholiques qui considèrent que tout ce qui mérite d’être connu ne peut venir que de l’Abbaye de Solesmes (ce qui est une vérité également tronquée). De ces deux « bords » sont apparu deux visions de l’accompagnement du chant grégorien :
- les médiévistes estiment que l’accompagnement était pratiqué, et s’appuient sur le traité anonyme Musica Enchiriadis (IX e s.) qui atteste en effet de sa pratique, mais se réfère aussi à une polyphonie qui commence tout juste à émerger. On sait aussi que l’orgue apparaît à cette époque dans les lieux de culte, et qu’on ne peut s’en servir que pour tenir des notes. La conclusion est évidente, mais les médiévistes, notamment Marcel Pérès, tiennent à pratiquer des bourdons vocaux, et qui plus est à l’octave grave, en s’appuyant sur une pratique de l’église d’orient. Si celle-ci a eu de l’influence sur le Moyen Age occidental, on ne peut pas affirmer que le chant grégorien fut une copie à ce point semblable à la pratique orientale.
- les grégorianistes catholiques « solesmiens » ont comporté en leurs rangs de véritables chevaliers anti-accompagnement, qui ont véritablement combattu les médiévistes, parfois avec un mordant regrettable. Par exemple en préférant dénoncer l’utilisation du bourdon en l’appelant intentionnellement « ison » (terme grec que n’utilisent pas les médiévistes) alors que le Moyen Age français le connaissait sous le nom d' »organum » (terme utilisé par les mêmes médiévistes). Surtout, ces puristes écartaient systématiquement la mention du traité Musica Enchiriadis, ce qui n’était pas très objectif ! Mais ils avaient aussi en ligne de mire différents livres d’accompagnements du chant grégorien écrits dans un style romantique, et en cela ils avaient tout à fait raison : ces livres sont autant d’erreurs de fond !
Or il y a une voie médiane. Il a existé dès le XIXe s., noyés dans la masse, quelques musiciens qui étaient en quelque sorte des Viollet-le-Duc de la musique sacrée, voulant retrouver les méthodes musicales modales du Moyen Age en matière de chant grégorien. L’un d’eux, particulièrement, fut Louis Niedermeyer, à qui l’on doit le style flamboyant qui devint la grande tradition de Notre-Dame de Paris jusqu’au Chanoine Jehan Revert et Pierre Cochereau. Une école musicale qui, aujourd’hui, n’est plus portée par leurs successeurs, plus soucieux d’un style liturgique « gallicano-lustigérien » créé ex nihilo.
Cette voie médiane consiste tout simplement à replacer l’accompagnement du chant grégorien à l’orgue, à réduire le nombre de notes d’accompagnement et à les situer dans la tessiture de la voix des chantres, et ainsi à retrouver la pratique du clavier sur un petit orgue positif d’une étendue d’environ deux octaves. Voilà qui peut paraître absurde pour un organiste qui ne connaît pas le chant grégorien. Pourtant, l’expérimentation montre qu’un si petit espace sonore permet de retrouver des fondements qui en disent long sur une pratique harmonique médiévale qui est en faite une véritable métaphysique musicale, celle que l’on comprenait de Platon à Boece, qui a été perdue de vue à la Renaissance, et méprisée par l’orgueil de la « musique contemporaine » du XXe s.