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Rappel historique sur la musique de l’Eglise catholique

Observons avec impartialité et objectivité la situation actuelle de la musique sacrée dans l’Eglise Catholique romaine : les textes relatifs à la réforme liturgique ont toujours attribué la première place au chant grégorien, puis au chant polyphonique à plusieurs voix (écrites, et non improvisées). Ce faisant, ces textes ont repris ce que l’Eglise affirmait de manière implicite depuis toujours. Soyons encore plus clairs : la réforme n’a fait qu’autoriser quelques moyens de faciliter la compréhension de la messe ; elle n’a jamais affirmé que les formes séculaires de musique sacrée étaient reléguées au placard.

Pourtant, c’est ce qui a été fait. Ceux qui n’ont pas connu cette période savent, par ouï-dire, qu’une certaine « modernisation » a été trop loin dans les années 1980 à 2000, et que ces excès sont désormais derrière nous. Mais ils savent peu de choses à propos de l’ambiance qui régnait à cette époque. Il faut bien le dire : nous avons connu dans l’Eglise de France une réminiscence, en version intellectuelle, de la Terreur, une chasse aux sorcières à l’efficacité redoutable.

Un signe ne trompe pas : il ne reste quasiment aucune trace de la liturgie paroissiale de cette période. Les écrits et les photos sont quasiment introuvables, même sur le web. Les archives de Radio Canada offrent une très rare vidéo de ce qui se faisait à l’époque dans le monde francophone (on avait la même chose en France).

Ci-contre, voici à quoi ressemblait une messe officielle, celle de Radio Canada – on avait la même chose en France – dans les années 70. Les image parlent beaucoup :

• les graphistes bidouillent à partir d’images médiévales byzantines ou se lancent dans le futurisme (croix en plexiglass), et ainsi éliminent sciemment tout ce qui romain et/ou hérité des siècles précédents.

• la « synaxe » (mot grec à la mode pour désigner « l’assemblée ») est l’élément majeur de la liturgie. Le prêtre y est « enfoui » (terme très à la mode), à tel point qu’on le devine à peine, et tout ce qui est sacerdotal est réduit au minimum, toujours en éliminant toute inspiration classique : calice tronconique, candélabre en forme de cerneau de noix, chasuble ornée d’un chrisme réduit à la forme d’un « P » ultra moderne (à peine lisible), servants de messe mixtes et adultes en habit civils (en 1980 beaucoup de curés de paroisse ont supprimé les enfant de chœur !), l’autel est réduit à la dimension d’un guéridon.
• la musique est inspirée du jazz à la Franck Loussier avec ses chœurs exclusivement féminins ; le style n’est interprétable que par des musiciens expérimentés (il s’agit donc toujours d’une élite !). Le soliste masculin adopte une voix séduisante et chante comme Jacques Brel ou Jean Ferrat, les vedettes du moment.

On se convaincra mieux de l’indigence de ce style avec la vidéo.

Et encore… c’est une messe officielle, les dégâts sont limités.

En effet, à cette époque en France, les prêtres refusaient de mettre une chasuble, et disaient la messe avec un mazagran à café en grès à la place du calice. Ce qu’ils n’avaient aucunement le droit de faire. Ceux qui mettaient une chasuble pour dire la messe et/ou utilisaient un calice en métal étaient pointés du doigt comme des intégristes malsains, et ils étaient mis sous pression, souvent nommés dans des paroisse isolées aux fins fonds des campagnes… Quand à voir un prêtre avec un col romain, ce n’était même pas pensable : tous les évêques de France portaient la cravate. « Rome, c’est Rome ; ici on est en France », entendait-on en guise de boutade… mais en fait ça n’en était pas une. Dans les grandes villes on n’osait plus sonner les cloches : il ne fallait pas déranger les riverains. Dans les écoles catholiques elles-mêmes, dire qu’on allait à la messe le dimanche n’était pas toujours facile…

Ce style liturgique était-il dû à la réforme du Concile Vatican II ? Les deux camps « modernistes » et « traditionalistes » l’ont cru, et l’on commenté chacun à leur manière… Ils se sont tous trompés ! Le problème était bien plus ancien. Mais les pères du Concile pensaient faire acte de diplomatie en donnant des gages d’ouverture. En réalité, une idéologie pernicieuse, déjà répandue, s’engouffra dans « l’aggiornamento » (la « mise-à-jour »), et rien ne put l’arrêter. Il était trop tard : les textes du Concile sur la liturgie étaient eux-même refusés par le clergé courant. Le clergé « réformateur » faisait circuler en sous-main cette consigne « Durant la messe, il faut tenir un discours de type syndical car Jésus était un révolutionnaire ». De ce fait, certains chants contenaient de déprimantes inepties, tel ce verset invraisemblable du chant « Fais paraître ton jour » : « Par le Corps de Jésus-Christ, hurlant nos peurs dans la nuit des hôpitaux » (verset disparu dans l’édition actuelle). Mais que fallait-il comprendre ? Quelle foi exprimait-on (si seulement c’en était encore !) ? Mais… la hiérarchie de l’Eglise laissait faire, pendant que les éditeurs de musique se frottaient les mains…

Afin de comprendre ce qui s’est passé, nous allons remonter progressivement le temps, des effets vers leurs causes…

L’avant Concile

On a donc cru que tout était dû « au Concile ». Erreur. Déjà, une dizaine d’années avant, quelques prêtres avaient commencé à dire des messes dans des maisons particulières, en vêtements civils ordinaires, portant juste une étole minimisée (parfois de 3 cm de large), utilisant une table basse, tout le monde restant assis d’un bout à l’autre de la messe, même pendant la lecture de l’Evangile et la consécration. En 1956, dans le diocèse de Bordeaux, un prêtre fit un rapport sur le Séminaire : il y mentionne une « mentalité désastreuse » et un refus des valeurs classiques tournant au militantisme. La tournure du document est sans équivoque : ce n’est que le début. Quelques maîtres de chapelle résistent efficacement : Joseph Samson à Dijon, le Chanoine Gaston Roussel à Versailles, le R.P. Séraphin Berchten à Bordeaux. Mais ils savent ce qui se profile…

A cela, deux causes :

  • les lendemains de la guerre mondiale avaient fait souffler un vent de « liberté » sur l’Europe, la culture américaine y étant pour beaucoup. On avait déjà vécu ça en 1918 : les « années folles » avaient mérité leur nom. Après 1945 il se produisit la même chose. Mais on ne peut pas croire que de simples paroissiens aient eu la capacité logistique de se fédérer à travers toute la francophonie pour outrepasser sans vergogne la réforme voulue par le Concile. Lors que le marxisme s’en est mêlé, on a cru que c’était la cause du problème. En réalité, il n’était qu’un outil de façade dissimulant un téléguidage de réseau bien plus profond…
  • depuis longtemps déjà la pratique religieuse était devenue routinière, et la musique sacrée était devenue insipide par le même effet. Soit on chantait de la musique de style lyrique ou militaire, soit on pratiquait un chant grégorien pachydermique. Bref, la lassitude gagnait, mais l’on préférait s’enfoncer dans l’erreur plutôt que d’écouter l’avis des meilleurs musiciens.

Alors cette lassitude a rencontré le vent de la nouveauté, et les deux ont donné le jour à un rejeton bien pire que ses géniteurs : une envie de tout bouleverser, une révolution totale, quitte à tout casser, y compris au sens propre, vu les dégâts commis dans beaucoup d’églises (que les évêques français ont dénoncés dès 1965, mais il était trop tard !).

Le tournant du XXe s.

Remontons encore avant, c’est-à-dire en 1900. Ah, l’époque rétro, c’est charmant… Oui mais dans l’Eglise la pratique musicale n’était guère enthousiasmante. Qu’on y pense : saint Thérèse de l’Enfant-Jésus avait, pour cantique préféré, « Ô Jésus qu’environnent les anges », qui n’était rien qu’une musiquette au rythme de valse pour orgue de foire dont le titre original était une satyre intitulée « Ô Fontenay qu’embellisent les roses ». De grands organistes produisaient ce type de musique pseudo-religieuse, comme par exemple Alfred Lefébure-Wély. Sainte Thérèse, bien que Docteur de l’Eglise ne pouvait échapper à un contexte aussi appauvri…

Pourtant, d’excellents musiciens d’église avaient déjà indiqué la voie. La musique sacrée avaient ses Violet-Leduc ! Le premier d’entre tous était Louis Niedermeyer, contemporain de la réforme du chant grégorien mise en œuvre par Dom Guéranger. C’est à lui qu’on doit la superbe « tradition parisienne » restituée dans « Grandes heures liturgiques à Notre-Dame de Paris« . Ces musiciens-là, et bien d’autres, voulaient en finir avec les styles de « comédie musicale » que le clergé cultivait par esprit populiste ! Mais ils ne furent pas entendus. Un organiste se fit apostropher par son curé : « Vous jouez de la musique trop sérieuse, veuillez vous en tenir à la musique d’opéra à laquelle nos paroissiens sont habitués ! ». Et dans les années 30, quelques diocèses refusaient encore d’appliquer la réforme du chant grégorien prônée par l’Abbaye de Solesmes, qui devenait fort nécessaire après… 600 ans de décadence !

Le XIXe s.

Ce siècle se remit très difficilement de la Révolution française. On avait assassiné 30.000 personnes dont des centaines de prêtres, brûlé quasiment tous les livres liturgiques… mais tout cela pour « seulement » trois ans d’interdiction du culte ! Cependant, le gallicanisme prit une nouvelle forme : celui du romantisme liturgique. En 1830 les chantres se mettent aux recueils de chants de salon, les textes sont tout à fait spirituels, mais la musique ressemble à d’agréables romances ; elle annonce la décadence qui va suivre. Curieusement, un auteur d’un recueil de ce genre est Alexandre Choron, le premier, en ce siècle, a avoir promu le retour à la musique modale, principe fondamental du plain chant médiéval. Il sera contemporain de la refondation de l’Abbaye de Solesmes par Dom Guéranger, qui prépare un renouveau dont on ne verra les fruits qu’un siècle plus tard.

Les XVIIe et XVIIIe siècles

En matière de musique liturgique il n’y a pas grand-chose à dire à propos de ces deux siècles. Les œuvres magistrales, telles que les splendides « Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie » de Monteverdi, ou les remarquables messes de Mozart, montrent toute l’influence néfaste du lyrique italien, qui a envahi la liturgie par de la musique mondaine. Ces œuvres ont des belles caractéristiques religieuses, mais elles ne sont en rien liturgiques de par leur formes musicales. Quant à leur application sur le terrain, à l’exception des cours royales et princières, on ne voit pas bien dans quelles églises on auraient pu les jouer, pour de simples raisons budgétaires !

Parallèlement, le chant grégorien a évolué dans une forme totalement différente. Il est lent, lourd, guttural, agrémenté « d’ornements » (sortes d’appogiatures). La phonétique latine est devenue affreuse sous la pression du gallicanisme : « Jesum Christum » se prononce « Jésôme Christôme » : « omnipotentem » se prononce « omnipotaintème », etc. Non dénué d’une esthétique réelle, c’est pourtant un style qui n’a absolument rien à voir avec son origine. Il engendrera, au XIXe s., en passant à plusieurs voix, le « plain chant polyphonique », forme à l’esthétique séduisante, mais encore plus divergente !

Les XVe et XVIe siècles

Cette période présente deux aspects contradictoires :

  • c’est manifestement le sommet de toutes les œuvres liturgiques polyphoniques, l’Eglise ayant désigné Palestrina, dans l’instruction Musica Sacra, comme en étant le maître incontesté. Et il est un fait que tous les grands compositeurs de cette époque, maîtrisant l’art du contrepoint, ont produit des œuvres polyphoniques qui restent insurpassées.
  • c’est aussi la fin du savoir-faire en matière de chant grégorien, l’écriture en grosses notes carrées ne donnant que des partitions à l’écriture lourde et sans nuances. Bien que l’on puisse considérer que les chantres se transmettaient un savoir-faire vocal non écrit, les spécialistes considèrent que le chant polyphonique avait rendu le chant grégorien obsolète dans la pratique liturgique, et que celui-ci n’était plus entretenu, tant bien que mal, que dans les communautés monastiques.

Du VIIIe au XIIe s.

C’est, de l’avis de tous les spécialistes, l’âge d’or du chant grégorien. C’est cette pureté que l’Abbaye de Solesmes a visé dès le XIXe s., et que divers médiévalistes recherchent depuis la fin du XXe s. Les historiens lui donnent le nom de « chant romano-franc » parce qu’il s’agit d’une synthèse réalisée à Metz à la fin du VIIIe siècle par les chantres francs, obligés par Charlemagne d’apprendre la technique vocale des chantres romains (qui était bien meilleure), mais qui avaient conservé leur génie créatif hérité des bardes gaulois. Ainsi le répertoire a-t-il été écrit dans un premier antiphonaire en l’an 800, et au XIIIe s. il a atteint Rome où il a remplacé le chant romain (dit aujourd’hui « vieux romain »).

Situation actuelle

Le chant grégorien, dans sa meilleure forme, a duré du IXe au XIIe s., puis a dérivé, puis a été restauré à la fin du XIXe s. pour être enfin connu sous cette forme dans la première moitié du XXe. s. Ce qui fait seulement un total de cinq siècles d’exécution de qualité. C’est peu !

La polyphonie sacrée a connu ses premières formes au XIIIe s. Elle est toujours restée de grande qualité, mais est devenu lyrique à l’époque Baroque, donc peut liturgique. Au point que le pape saint Pie X a fini par l’interdire dans son fameux motu proprio de 1903. Après une courte période au milieu du XXe s., le chant polyphonique a fini par s’effondrer pour laisser place à des chants syllabiques (1 syllabe par note), dont l’ambitus (étendue des notes en hauteur) ne permet plus d’écrire à 4 voix, et dont les mélodies ne suivent plus aucun règle propre à la musique sacrée. De nos jours quelques compositeurs écrivent des pièces de qualité, mais leur diffusion est si confidentielle que l’on peut considérer que le chant polyphonique est quasiment inexistant dans l’Eglise de France.

Que va-t-il se passer ?

C’est assez simple. De 1970 à 2000 le chant liturgique avait dégringolé dans la négation radicale du « trésor musical » que le Concile veut préserver. Mais le savoir-faire était encore disponible chez les musiciens d’église de l’ancienne école. Depuis 2010 on constate que ce savoir-faire n’existe plus du tout dans les paroisses diocésaines, et que l’on cherche en vain des formateurs, car eux-mêmes sont en voie de disparition !

Les « paroisses personnelles » traditionalistes constituent parfois (mais pas toujours, loin s’en faut) de bonnes réserves tant pour le chant grégorien que la polyphonie, encore qu’on peut aussi y chanter de manière excessivement routinière et sans discerner la bon grain de l’ivraie. Les communautés religieuses qui avaient préservé le chant grégorien deviennent parfois de nouveaux lieux de formation, sous l’impulsion de jeunes moines qui « en veulent », comme on dit.

Mais tous les milieux, qu’ils soient paroissiaux ou traditionalistes, sont depuis environ 2010 gagnés par la mode des chants charismatiques ou de communautés nouvelles. Ces répertoires ont été créés à la guitare et sont souvent injouables sur un clavier. Leurs auteurs, n’ayant jamais pratiqué les répertoires anciens, méconnaissent la position normale des vraies voix de soprano et de basse, et faute de disposer de choristes sérieusement formés, écrivent dans une étendue si réduite qu’on ne peut y caser au maximum que trois voix. Ils écrivent du chant syllabique (une syllabe = une note) et en réalité ils font chanter des accords d’instruments, ne savent pas écrire de vraie polyphonie, faite de mélismes (une syllabe sur plusieurs notes) et de contrepoint (motifs rythmiques juxtaposés et enchaînés à travers les différentes voix).

Faute de suivre les critères classiques, les musiciens « nouveaux » ont une tendance à l’improvisation polyphonique, qui rend quasiment inutiles les partitions, et tant pis si on fait tout le temps les mêmes accords… C’en est même au point que, dans les dialogues liturgiques, des paroissiens non choristes croient approprié de chanter des « secondes voix » même là où ça n’est absolument pas prévu. Ainsi, on répond « Et avec votre esprit » à plusieurs voix, alors que les fidèles doivent répondre comme le prêtre, c’est-à-dire avec une seule voix, qui symbolise le peuple formant « un seul corps ». Mais qui y pense ?…

Pour autant, le vide appelle le plein. Cela se devine depuis maintenant un demi-siècle ! Mais c’est le temps de l’Eglise : il faut toujours deux générations pour que la terre assoiffée demande de l’eau… Que celle-ci pleuve, et tout à coup la soif de réapprendre sera ressentie, la torpeur et la routine seront balayées, et le trésor musical de l’Eglise, qu’Elle souhaite en vain depuis les années 60, refleurira d’un seul coup, comme cela se passe dans les déserts. Il faut juste un déclencheur. Souhaitons qu’il vienne de nos évêques, et aussi par le retour des « maîtres de chapelle » qu’on a laissé disparaître des cathédrales et basiliques de France.